I
REGRETS

Lady Catherine Somervell tira sur les rênes de la grande jument et, de sa main gantée, lui flatta l’encolure.

— Ce ne sera plus très long, Tamara. Nous serons bientôt à la maison.

Elle resta ainsi en selle, immobile, très droite, à contempler la mer de ses yeux sombres. Il était près de midi en ce premier jour du mois de mars 1811, et une étrange vapeur brumeuse avait déjà envahi le sentier qu’elle avait emprunté pour aller rendre visite à John Allday et à sa toute nouvelle épouse, Unis. Elle n’arrivait pas à croire qu’on les ait laissés tranquilles si longtemps, sans être dérangés par l’Amirauté de Londres. Deux mois et demi : Richard Bolitho et elle n’avaient jamais passé autant de temps ensemble dans leur demeure de Cornouailles.

Elle fit glisser sa capuche ourlée de fourrure et l’air humide lui redonna des couleurs. Au sud, vers la pointe de Rosemullion qui gardait l’embouchure de la Helford, là aussi, alors qu’elle n’était distante que de trois milles, tout était perdu dans la brume. Elle se trouvait sur le chemin côtier le plus haut, car celui du bas s’était écroulé sous les coups de la mer lors des tempêtes de janvier.

Et pourtant, on devinait déjà quelques signes annonciateurs du printemps. Des hochequeues piquaient le long des rives de la Helford, on les reconnaissait à leurs plongeons vertigineux, à leur vol erratique. Des choucas également, perchés comme des ecclésiastiques sur les murs de pierre. Les arbres effilochés qui poussaient sur la crête de la colline toute proche n’avaient pas retrouvé leurs feuilles, et leurs branches tombantes luisaient encore d’avoir subi la dernière averse. Cela dit, on distinguait vaguement de petites touches de jaune : les premières jonquilles sortaient en dépit de l’air salin venu de la Manche et des Western Approaches.

Catherine poussa sa monture. Elle songeait rêveusement au passé, s’arrêtait particulièrement à ces semaines de liberté dont ils avaient profité sans contrainte. Passé les premières étreintes après leurs retrouvailles, lorsque Bolitho était revenu de la campagne de l’île Maurice au cours de laquelle il avait anéanti les corsaires de Baratte, elle avait craint qu’il ne tienne pas en place de ne pas être avec ses vaisseaux et ses hommes. Il aurait pu être secrètement inquiet de voir que la marine, pour laquelle il avait tant fait, à qui il avait tant donné, l’oubliait.

Mais leur amour s’était ranimé de plus belle, à supposer que ce fût possible. Ils faisaient de la marche et montaient à cheval, en dépit d’un temps peu clément. Ils allaient rendre visite aux familles de la propriété et, lorsqu’ils ne pouvaient y échapper, se rendaient aux réceptions que donnait Lewis Roxby dans sa demeure grandiose. Roxby, surnommé le Roi de Cornouailles, était le beau-frère de Richard. Les festivités avaient été organisées pour célébrer l’accession, assez inattendue, de Roxby à la chevalerie. Elle esquissa un sourire : désormais, on ne pourrait plus le tenir…

Et que se passait-il dans le vaste monde ? Elle avait guetté chez Richard les signes habituels de malaise, mais non, rien. Elle songeait à leur passion, aux attentions délicates qu’ils avaient l’un pour l’autre. Quoiqu’il en soit elle savait tout de son homme.

Et tant de choses avaient changé. Les prédictions de Sir Paul Sillitœ s’étaient vérifiées un mois plus tôt. Déclaré fou, le roi George III avait été privé de tout pouvoir et de toute autorité. Le Prince de Galles était devenu régent, en attendant le jour de son couronnement. Certains prétendaient, et c’était peu charitable, que Roxby devait sa récente élévation à l’influence du Prince régent. Bien que son titre tout neuf lui ait sans doute été attribué en reconnaissance des services qu’il avait rendus à son pays en sa qualité de magistrat et en tant que créateur d’une milice, à l’époque où l’on craignait un débarquement des Français, certains affirmaient que c’était parce que le Régent était également duc de Cornouailles, et qu’il se rendrait compte assez vite de l’inutilité d’avoir Roxby pour allié.

Elle contemplait la mer, ce n’était plus la rivale qu’elle avait crainte si longtemps. Elle sentait encore sur son épaule cette brûlure causée par le soleil après la perte du Pluvier Doré, sur la grande barrière de récifs. Et dire que cela faisait déjà deux ans… Elle avait souffert les mêmes tourments que les autres survivants. Mais elle était avec Richard, ils avaient tout partagé aux portes de la mort.

Le soleil était invisible derrière les nuages pâles, mais la mer réussissait tout de même à en capter les rayons, si bien que la houle paraissait éclairée par en dessous, comme par une lanterne énorme.

Elle avait laissé Richard à la maison car il avait des lettres à terminer avant le départ de la malle de poste, place de Falmouth. Elle savait qu’une de ces missives était destinée à l’Amirauté ; ils n’avaient plus de secrets l’un pour l’autre. Elle lui avait même raconté sa visite à Whitechapel, l’aide que lui avait proposée Sillitœ, et qu’elle avait acceptée.

— Je n’aurais jamais cru que tu ferais un jour confiance à cet homme, lui avait dit tranquillement Bolitho.

Elle l’avait serré dans ses bras, ils étaient au lit, et lui avait répondu à voix basse :

— Il m’a aidée à un moment où je n’avais personne d’autre. Mais un lapin ne se retourne jamais quand il est en face d’un renard.

Et quant à sa lettre destinée à l’Amirauté, il lui avait simplement dit :

— Quelqu’un a dû lire mon rapport sur la campagne de Maurice, et ce que j’y écris sur le besoin que nous avons de frégates. Mais j’ai peine à croire qu’un coup de vent ait balayé ces coursives poussiéreuses !

Et puis cet autre jour, il était avec elle sur la pointe, en contrebas du château de Pendennis. Ses yeux avaient la couleur des eaux grises qui s’agitaient sans cesse, jusqu’à l’horizon. Elle lui avait demandé :

— Tu accepterais un poste à l’Amirauté ?

Il s’était retourné pour la regarder et lui avait répondu d’un ton très net, très décidé :

— Lorsque l’heure sera venue où je ne pourrai plus prendre la mer, Kate, ce sera aussi celle de quitter la marine pour de bon.

Il lui avait souri, de son sourire enfantin, et toutes ses rides s’étaient effacées.

— Et ils seront les derniers à me le demander.

Elle s’était entendue lui répondre doucement :

— Ce sera à cause de moi et à cause de nous, voilà la vérité.

— Il ne s’agira pas d’un prix à payer, Kate chérie, mais d’une récompense.

Elle songeait aussi au jeune Adam Bolitho. Sa frégate, l’Anémone, relâchait à Plymouth où elle passait en cale sèche après sa longue traversée depuis Maurice via Le Cap et Gibraltar. Elle avait subi tellement d’avaries au cours de son combat au corps à corps avec les corsaires de Baratte que les archipompes ne s’étaient jamais arrêtées de tout le voyage de retour.

Pour lors, Adam était attendu à Falmouth. Elle entendit la cloche de l’église placée sous le patronage de Charles, le roi martyr, là où depuis des générations on baptisait les Bolitho, où ils se mariaient, et où on les enterrait. Cela ferait du bien à Richard de pouvoir passer quelques moments avec son neveu. Elle doutait qu’il évoque le sujet de la femme de Valentine Keen. Dans ce genre d’affaire, aller à la confrontation n’était pas la meilleure méthode.

Elle revoyait Allday, lorsqu’elle s’était arrêtée à la petite auberge de Fallowfield, Au Vieil Hypérion. Un artiste local avait peint l’enseigne – la vieille dame dans l’eau jusqu’aux derniers sabords, comme avait dit fièrement Allday après son mariage, une semaine avant la Noël. Mais Unis, sa jeune épouse au visage épanoui et qui connaissait l’Hypérion à bord duquel son premier mari avait péri, lui avait expliqué ce qui souciait Allday. Il craignait que Sir Richard ne le laisse à terre lorsqu’il aurait reçu une nouvelle affectation.

Elle lui avait confié l’amour qu’elle ressentait pour son solide marin à la démarche chaloupée, sans lui parler de la jalousie qu’elle pouvait éprouver envers la marine, celle qui risquait de les séparer. Mais elle était fière de ce lien si particulier qui existait entre le vice-amiral et son maître d’hôtel.

— Je sais, lui avait répondu Catherine. J’y suis soumise comme vous. C’est pour notre salut que nos hommes partent affronter la mer et les canons. C’est pour nous.

Mais elle n’était pas sûre de l’avoir convaincue.

Elle sourit, elle avait un goût de sel sur les lèvres. Ni d’être très convaincue moi-même.

Sa jument accéléra le train en atteignant la nouvelle route construite par les prisonniers de guerre français qu’employait Roxby. Et Catherine se disait que c’était grâce à ces mêmes prisonniers que sa demeure et ses jardins étaient si impeccablement entretenus. Comme la plupart des propriétés dans le pays, il n’y avait plus que des vieillards et des éclopés rejetés par la marine pour travailler sur les terres des Bolitho. Tout jeune homme qui ne bénéficiait pas d’une protection se faisait immanquablement ramasser par les détachements de presse omniprésents. Et cette protection ne permettait pas toujours d’échapper au sort. Il suffisait d’une nuit noire, d’un vaisseau à l’ancre, d’un commandant qui ne posait pas trop de questions au retour de son détachement.

Le toit de la vieille demeure grise apparut au-dessus de la colline. Adam avait-il des nouvelles ? Il allait certainement remarquer que son oncle était dans une forme superbe. L’exercice, une nourriture saine, du repos… Elle pinça les lèvres. Et l’amour, qui les laissait haletants.

Elle s’était souvent demandé si Adam ressemblait en quelque manière à son père. Il n’existait aucun portrait de lui dans toute la maison, et elle était bien sûre que le père de Bolitho s’en était assuré après que Hugh eut jeté l’opprobre sur lui-même et sur sa famille. Ce n’était pas tant à cause de son goût du jeu, qui l’avait laissé criblé de dettes et avait ruiné la propriété – jusqu’à ce que les succès de Richard en tant que commandant d’une frégate lui aient permis de gagner assez de parts de prises pour combler le trou. Hugh avait même fini par tuer en duel un officier, l’un de ses camarades, pour une affaire de jeu.

Tout cela, leur père aurait encore réussi à le pardonner. La coupe avait débordé lorsque Hugh avait déserté la marine pour se ranger du côté des Américains pendant la guerre d’Indépendance. Catherine songeait aux portraits alignés sur les murs et dans l’entrée, tous ces hommes aux yeux gris, au regard sévère. On aurait dit qu’ils l’observaient, qu’ils la jugeaient lorsqu’elle montait l’escalier. Pourtant, ils n’avaient pas tous été des saints…

Un palefrenier prit la bride de sa monture et Catherine lui dit :

— Tu la bouchonneras bien, hein ?

Puis elle aperçut un autre cheval qui mastiquait bruyamment dans les écuries, et un tapis de selle bleu et or. Adam était déjà arrivé.

Elle secoua la tête pour faire retomber ses longs cheveux sombres sur ses épaules.

En ouvrant la porte à double battant, elle les vit, debout près d’une grande flambée. On les aurait crus frères ; ces cheveux noirs, les traits des Bolitho, comme sur les portraits, comme sur ces visages qu’elle avait tant scrutés tandis que la maison devenait sa demeure. Elle regarda subrepticement la table, l’enveloppe de toile au timbre de l’Amirauté, l’ancre câblée. Elle en avait eu le pressentiment, mais elle en ressentit pourtant un choc.

Tout sourire, elle tendit les bras à Adam qui venait la saluer. Richard avait dû surprendre son coup d’œil et ce bref moment de consternation.

Là était son véritable adversaire.

 

Le lieutenant de vaisseau George Avery se tenait près de la fenêtre de sa chambre, d’où il observait la foule et les voitures qui se pressaient dans la rue. C’était jour de marché à Dorchester : les paysans venus de la campagne et des villages alentour pour acheter ou pour vendre marchandaient. A cette heure, les tavernes devaient être pleines.

Il s’approcha d’un miroir et s’examina attentivement, comme il aurait inspecté la tenue d’un jeune aspirant.

Il n’en revenait toujours pas, d’avoir accepté la proposition de Sir Richard Bolitho qui lui avait demandé de rester son aide de camp. Il avait assez souvent juré que, si on lui offrait un commandement, aussi modeste et minuscule fût-il, il se jetterait sur l’occasion. Il était âgé pour son grade, il n’aurait plus jamais trente ans. Il examina d’un œil critique son uniforme bien coupé et les aiguillettes d’or, insigne des fonctions qu’il occupait auprès de Sir Richard Bolitho. Avery n’était pas près d’oublier le jour où il avait fait la connaissance de ce fameux amiral, dans sa demeure de Falmouth. Il ne s’était pas attendu à ce que Bolitho lui accorde cet entretien, à lui, le neveu de Sir Paul Sillitœ, car il connaissait à peine son oncle et ne savait pas pourquoi celui-ci avait cité son nom.

Ce qu’il avait vécu au cours du drame qui avait manqué lui coûter la vie lui donnait encore des cauchemars. Il était alors second d’une petite goélette, La Jolie, prise aux Français, et s’amusait beaucoup des opérations qu’ils menaient contre des marchands ennemis au cours de combats éclairs. Mais son jeune commandant, également lieutenant de vaisseau, s’était montré trop sûr de lui, ce qui l’avait conduit à prendre des risques inconsidérés. Il s’entendait presque raconter l’affaire à Bolitho, au cours de leur premier entretien. Je le trouvais imprudent, Sir Richard. Ils s’étaient fait surprendre par une corvette française qui les avait massacrés avant qu’ils aient pu réagir. Son jeune commandant avait été coupé en deux à la première bordée et, un peu après, Avery s’était effondré à son tour, gravement blessé. Impuissant, il avait vu ses hommes, totalement découragés par la violence de l’attaque, amener les couleurs.

Fait prisonnier, Avery avait souffert mille morts entre les mains de chirurgiens français. Non qu’ils ne se soient occupés de lui ou qu’ils se soient montrés indifférents à ses souffrances. Leur manque de moyens était la conséquence directe du blocus anglais, par une ironie du sort qui lui revenait fréquemment en mémoire.

La paix d’Amiens, ce bref intermède qui avait uniquement laissé aux deux adversaires le temps de panser leurs plaies et de reconstituer défenses et vaisseaux, avait permis à Avery d’être libéré plus tôt en échange d’un prisonnier français. À son retour en Angleterre, nulle félicitation, pas de récompense pour la bravoure dont il avait fait preuve. Au contraire, il était passé en conseil de guerre. Finalement, il n’avait pas été jugé coupable de lâcheté ni d’imprudence ayant mis son bâtiment en péril. Mais La Jolie avait amené son pavillon devant l’ennemi et, blessé ou pas, il avait reçu un blâme. Il ne dépasserait jamais le grade de lieutenant de vaisseau jusqu’à la fin de sa carrière.

Jusqu’à ce jour, qui remontait à dix-huit mois, où Bolitho l’avait pris comme aide de camp. Cela lui avait ouvert une porte, Avery avait connu une nouvelle existence aux côtés de l’un des héros de l’Angleterre. Aux côtés d’un homme dont les exploits et le courage avaient redonné du cœur à son pays.

Il sourit à son reflet dans la glace et revit le jeune homme qu’il avait été. L’espace d’une seconde, son expression habituelle empreinte de méfiance, ces lignes amères creusées autour de ses lèvres, disparurent. Mais les mèches de cheveux gris qui parsemaient ses cheveux châtains étaient toujours là, comme cette raideur à l’épaule, séquelle de sa blessure et du traitement qu’il avait subi. Et il savait que ce qu’il voyait n’était pas la vérité.

Il entendit quelqu’un près de la porte d’entrée et jeta un regard circulaire à sa chambre : un endroit nu, tout simple, sans personnalité. Tout comme le reste de la maison, le presbytère où son père, homme strict mais au grand cœur, l’avait élevé. La sœur d’Avery, Ethel, qui avait épousé elle-même un membre du clergé après la mort de leur père, tué dans la rue par un cheval emballé, y habitait toujours avec son mari.

Il attacha son sabre à ses bélières et ramassa son bicorne galonné d’or. Un or aussi brillant que le jour, dix-huit mois auparavant, où il en avait pris livraison chez Joshua Miller, le tailleur de Falmouth. On en était à la deuxième génération de Miller qui confectionnait les uniformes de la famille Bolitho, même si bien peu de gens savaient encore comment cela avait commencé. Bolitho avait équipé Avery lorsqu’il était entré à son service. Encore une marque de délicatesse, si caractéristique de l’homme qu’il connaissait maintenant fort bien, même s’il ne le comprenait pas parfaitement. Son charisme, dont il ne semblait pas être conscient lui-même ; cette façon qu’avaient ses proches de le protéger. Son petit équipage, ainsi qu’il les appelait : son solide maître d’hôtel, Allday, son secrétaire originaire du Devon, Yovell, un homme un peu replet, sans oublier Ozzard, son domestique, un homme sans passé.

Il déposa un peu d’argent sur la table à l’intention de sa sœur. Elle ne tirait pas grand-chose de son rat de mari. Avery l’avait entendu quitter le presbytère de bonne heure, sans doute pour aller faire la charité quelque part, à moins que ce ne fût pour dire quelques mots à l’oreille d’un brigand que l’on conduisait au gibet. Il sourit. Si réellement son beau-frère était un homme de Dieu, le Tout-Puissant serait bien inspiré de faire attention quand il choisirait son petit équipage !

La porte s’ouvrit, sa sœur était dans le couloir et le regardait, comme si elle n’avait pas envie de le voir s’en aller.

Elle avait les mêmes cheveux sombres qu’Avery, les mêmes yeux dorés, des yeux de chat. Mais, en dehors de cela, ils ne se ressemblaient guère. Il avait du mal à admettre qu’elle n’avait que vingt-six ans, avec son corps déformé par les grossesses. Elle avait quatre enfants, mais en avait perdu deux autres. Difficile de se souvenir de la jeune fille d’autrefois, qui avait été plutôt mignonne à l’époque.

Elle lui dit :

— George, le charretier est là. Il déposera ton coffre à l’Ecu du Roi.

Il la prit dans ses bras et la serra, elle le regarda.

— Je sais bien que tu dois partir, George, mais j’étais si contente que tu sois là. On pouvait parler, et puis…

Lorsqu’elle était désemparée, son accent du Dorset devenait plus prononcé.

Deux enfants hurlaient en bas, mais elle n’avait pas l’air de les entendre. Elle reprit brusquement :

— J’aurais bien aimé rencontrer Lady Somervell, moi aussi.

Avery la serra un peu plus fort. Elle l’avait souvent interrogé au sujet de Catherine, ce qu’elle faisait, de quelle manière elle s’adressait à lui, comment elle s’habillait. Il passa la main sur la robe en grosse toile bise que sa sœur n’avait pas cessé de porter tout le temps de son séjour.

Un jour, il avait fait mention de Catherine alors que le mari d’Ethel était dans la pièce. Il avait déclaré, de sa voix aiguë :

— Une femme sans foi ! Je ne veux pas entendre son nom chez moi !

— Je croyais que c’était la maison de Dieu, avait rétorqué Avery.

Depuis, ils ne s’étaient plus adressé la parole. Avery se dit que c’était la raison pour laquelle il avait quitté le presbytère de bonne heure, pour leur éviter de mentir en se faisant des adieux fraternels.

Avery se sentait soudain pressé de partir.

— Je vais dire au charretier d’y aller, j’irai à pied jusqu’au relais.

Dans le temps, il aurait évité de marcher dans la rue. C’était une ville de l’intérieur, elle regorgeait pourtant d’officiers de marine. Les familles d’officiers aimaient acquérir une demeure à Dorchester, car la ville n’était guère éloignée de la baie de Weymouth, de Portland et de Lyme. Et il avait vu bon nombre d’officiers changer de trottoir pour éviter de le croiser, à l’époque où il se remettait de sa blessure et attendait de passer en conseil de guerre.

Depuis qu’il était avec Bolitho, tout cela avait bien changé. Mais cela ne changera rien à ce que j’éprouve à leur égard.

Il étreignit sa sœur encore une fois, il sentait contre lui son corps usé. Qu’était-elle devenue, la jeune fille d’autrefois ?

— Je t’enverrai de l’argent, Ethel – il la sentit faire oui de la tête, elle était trop submergée par les larmes pour parler : La guerre sera bientôt finie, je reviendrai à terre.

Il songeait à Bolitho, qui acceptait si facilement sa situation, à ce qu’Allday lui avait confié – son œil malade –, et à ce que cette confidence lui avait coûté. En tout cas, je ne pourrais être en meilleure compagnie.

Il descendit l’escalier si familier, sans ornement aucun car il fallait éviter de gaspiller, comme disait le vicaire. Avery avait pourtant remarqué qu’il possédait une cave excellente. Il passa devant la pièce dans laquelle son père avait commencé à faire son éducation. Dans d’autres circonstances, ce souvenir lui aurait arraché un sourire. Yovell, qui l’avait immédiatement accepté au sein de leur petit équipage parce qu’il écrivait et parlait le latin. Comme c’était étrange, c’est ce talent qui lui avait permis de sauver la vie du contre-amiral Herrick, l’ami de Bolitho.

— Les routes doivent être meilleures maintenant, reprit-il. Je serai à Falmouth après-demain.

Elle leva les yeux vers lui, et il crut revoir la jeune fille à travers ce masque.

— Je suis si fière de toi, George – elle s’essuya le visage avec son tablier : Tu ne sauras jamais à quel point !

Ils sortirent, le charretier prit son dû et salua la femme du vicaire.

Puis ils s’embrassèrent. Plus tard, en marchant dans les rues, Avery se souvint de sa détresse. Elle l’avait embrassé à la façon d’une femme qui vient tout juste de se rappeler comment les choses auraient pu être.

Il aperçut la malle, près de l’auberge, avec son écusson de la Poste royale peint sur la portière. Les bras étaient vides, les chevaux pas encore attelés, mais des domestiques s’activaient déjà à fixer les bagages sur le toit.

Il se retourna en direction de la rue où il avait grandi, mais sa sœur avait disparu.

Il croisa deux aspirants qui effectuaient quelque mission, ils se découvrirent pour le saluer. Mais Avery ne les remarqua même pas.

Puis l’évidence lui sauta aux yeux, comme un choc. Il ne la reverrait jamais.

 

John Allday s’arrêta de bourrer de tabac l’une de ses longues pipes et, sans l’allumer, se dirigea vers la porte.

Il resta un long moment à regarder l’enseigne toute neuve qui brillait en se balançant au gré du vent. Il ne voyait pas la Manche de là où il était, mais se la représentait sans peine. Le vent avait un peu adonné depuis le matin, ce serait bientôt le jusant. Il imaginait également Falmouth, les navires qui viraient leurs câbles en attendant le moment de lever l’ancre pour profiter du vent et de la marée. Il y avait aussi des vaisseaux de guerre, mais peu nombreux ; les célèbres paquebots de Falmouth ; des pêcheurs et des caseyeurs à homards. Il allait falloir qu’il s’y habitue. Je dois m’y habituer. Il entendit la cloche solitaire de l’église. Ses yeux se mouillèrent. L’église où il s’était uni à Unis, il y avait de cela deux mois, à peine. Il n’avait jamais connu pareille chaleur, pareil amour, et si inespéré. Il avait toujours eu l’œil attiré par les « jolies petites frégates », comme il disait, mais Unis les surpassait toutes.

Les hommes allaient bientôt rentrer des champs ; la nuit tombait encore trop tôt pour qu’ils puissent travailler très longtemps.

Il entendit le frère d’Unis, un autre John, qui préparait des pichets et disposait les bancs. On suivait ses pas dans la salle au bruit de sa jambe de bois. Un brave homme, ancien soldat au 31e de ligne, le régiment du Huntingdonshire. C’était réconfortant de le voir habiter cette chaumière près de l’auberge, il pourrait aider Unis quand il serait en mer.

Sa Seigneurie était venue à cheval à Fallowfield pour essayer de le rassurer. Mais l’un des cochers qui s’était arrêté à l’auberge pour avaler une bière et un ou deux pâtés lui avait dit que Sir Richard avait reçu une lettre de l’Amirauté. Du coup, Allday était incapable de penser à rien d’autre.

Il entendit le pas léger d’Unis qui arrivait par l’autre porte et se retourna. Elle avait dans les bras un panier d’œufs qu’elle venait de ramasser.

— Tu te fais encore du souci, mon chéri ?

Allday rentra dans la salle et se mit à rire pour éviter de répondre.

— Tout est si nouveau pour moi, tu sais.

Elle inspecta la pièce, les grosses pintes de bière accrochées à leurs chevalets. Ce jour-là, on avait mis des nappes propres et le pain frais tenterait le premier ouvrier agricole de retour chez lui. Un endroit bien accueillant : on aurait dit qu’il était heureux d’être tel qu’il était.

— Et pour moi aussi, c’est nouveau, d’avoir un homme avec moi.

Elle lui sourit tendrement.

— Te fais pas de souci pour ça. Tu as pris mon cœur, et je dois même dire que je serai triste quand tu partiras, car tu partiras. Je suis bien en sécurité. Promets-moi juste que tu reviendras.

Elle se détourna vers la cuisine pour qu’il ne voie pas la larme qui brillait dans ses yeux.

— Je vais te chercher un godet, John.

Le frère d’Unis, qui était occupé à remettre des bûches dans le feu, se redressa et regarda Allday, l’air sérieux.

— C’est pour bientôt, à ton avis ?

Allday hocha la tête.

— Il va d’abord aller à Londres. Il faudrait que je l’y accompagne.

— Pas cette fois, John. À présent, tu as Unis. J’ai perdu une jambe au service du roi, j’ai eu de la chance. Encore que, à l’époque, je n’étais pas vraiment de cet avis… Un canon ne fait pas attention là où il frappe. Alors, profite de ce que tu as.

Allday reprit sa pipe éteinte et fit un sourire en voyant sa jeune épousée qui arrivait avec une chope de rhum.

— Toi, ma mie, tu sais ce qu’il faut à un homme !

Elle brandit l’index et se mit à glousser.

— Tu es un grand méchant, John Allday !

Son frère se détendit, Allday en fut heureux. Mais comment aurait-il pu comprendre ? Il n’avait été qu’un soldat, alors, pourquoi s’étonner ?

 

Lady Catherine Somervell s’arrêta dans le virage de l’escalier et serra sa robe contre elle. Après la chaleur du grand lit à baldaquin et du feu qui brûlait dans sa chambre, l’air était glacial. Elle était pieds nus.

Elle était allée se coucher plus tôt qu’à son habitude pour laisser Richard s’entretenir en tête à tête avec son neveu. Quelque temps après, ils étaient montés ensemble, et elle avait eu l’impression d’entendre Adam vaciller en arrivant à la porte de sa chambre.

Pendant tout le dîner, il s’était montré tendu et peu bavard, ce qui ne lui ressemblait pas. Ils avaient parlé de son voyage de retour, de l’Anémone qui passait au bassin pour remplacer une partie de la doublure de cuivre endommagée sous les tirs croisés des corsaires de Baratte. A un moment, Adam avait levé les yeux de son assiette et, pendant quelques secondes, elle avait retrouvé l’air animé qui lui était coutumier, cette fierté que lui procurait son Anémone.

— Elle a pris une bonne raclée, mais, grâce à Dieu, sous le cuivre, les membrures sont solides comme l’airain !

Il leur avait raconté que le brick Larne avait également rallié Plymouth. Il avait apporté des dépêches en provenance de Bonne-Espérance, mais il devait rester un certain temps à Plymouth pour remettre en état espars et gréement. La chose n’était guère surprenante. La Larne avait été en mer sans relâche depuis près de quatre années, subissant sans cesse une chaleur accablante et de terribles tempêtes.

Lorsqu’elle songeait à Richard, elle se disait qu’il devait plus ou moins s’y attendre. Encore un coup du destin, peut-être, qui avait fait revenir James Tyacke en Angleterre. Cet officier si brave, si fier, celui que les marchands d’esclaves arabes avaient surnommé le diable à la demi-figure. Comme il devait détester Plymouth, ces regards horrifiés ou remplis de pitié chaque fois qu’il montrait ses terribles cicatrices dans la foule animée d’un port de guerre.

Adam leur avait confirmé que Tyacke avait envoyé son second à Londres pour y porter ses dépêches, alors qu’en général un commandant entreprenait lui-même le déplacement pour faire sa cour à l’Amirauté.

Catherine aperçut une chandelle qui vacillait sur la petite table posée à un endroit où l’escalier était noyé dans la pénombre. Elle avait dû se rendormir après les avoir entendus monter. Lorsqu’elle avait tendu la main à la recherche de son homme, sa place était vide.

Elle frissonna, comme si quelqu’un l’observait. Elle leva les yeux vers le portrait le plus proche, celui qui représentait le contre-amiral Denziel Bolitho. Peut-être, de tous ceux qui figuraient là, celui qui ressemblait le plus à Richard. C’était son grand-père et ils se ressemblaient énormément : les mêmes yeux, des cheveux noir corbeau. Denziel était le seul autre Bolitho à avoir accédé au rang de contre-amiral. Et maintenant, Richard était monté encore plus haut qu’eux tous, il était le plus jeune vice-amiral de la liste navale depuis la mort de Nelson. Elle fut prise d’un nouveau frisson, mais ce n’était pas l’air froid de la nuit. Richard lui avait dit qu’il abandonnerait tout – pour elle, pour eux.

Il lui avait souvent parlé de son grand-père, tout en avouant qu’il ne se souvenait pas très bien de lui. Il avait bâti ses impressions sur ce que son père, le commandant James, lui en avait raconté et aussi, naturellement, d’après son portrait. Denziel était représenté à la bataille de Québec, sur fond de fumée, lorsqu’il était venu soutenir Wolfe. Le peintre avait réussi à saisir l’homme qui se dissimulait derrière l’uniforme. Il y avait de l’humour dans son regard, dans sa bouche. Avait-il pris une maîtresse, comme l’avait fait son petit-fils ?

Maintenant que ses yeux s’étaient habitués à la pénombre, elle voyait quelque chose qui brillait faiblement du côté de la flambée. Puis elle aperçut Bolitho. Il était assis sur le tapis, un bras posé contre un fauteuil, le fauteuil dans lequel s’asseyait son père pour lui faire la lecture. Il semblait ne pas pouvoir se retenir de regarder par la fenêtre, de rappeler à son souvenir la mer qui l’attendait là. La mer qui attendait, comme toujours, un autre Bolitho. Il y avait un verre de cognac posé près de l’âtre et les tisons mourants se reflétaient sur le verre, comme à travers une loupe.

Bolitho ouvrit les yeux et la fixa. Elle crut qu’elle l’avait sorti d’un rêve.

Il essaya de se relever, mais glissa sur le côté et tisonna les cendres jusqu’à ce que les flammes revivent.

Puis il ôta sa veste et la jeta sur ses épaules.

— Pardonne-moi, Kate, je me suis endormi ! Je n’avais pas imaginé…

Elle lui ferma la bouche en posant les doigts sur ses lèvres.

— Ce n’est pas grave, je suis contente de m’être réveillée.

Elle contemplait son profil où l’émotion se lisait nettement en dépit de la pénombre. Ils étaient restés tant de fois assis à cet endroit, à s’écouter mutuellement, avides l’un de l’autre. Il ne se montrait jamais impatient avec elle, même lorsqu’ils avaient discuté de l’achat de ce brick charbonnier, la Maria José. Un autre, un autre marin, aurait pu se mettre en rogne. Mais lui s’était contenté de répondre : « Nous verrons cela quand la saison sera propice. C’est un peu risqué, mais, même si nous n’y arrivons pas, le navire prendra de la valeur. » Toujours nous. Même lorsqu’ils étaient séparés, ils restaient ensemble.

Il lui dit brusquement :

— Adam m’a tout raconté.

Elle se tut, elle ressentait sa peine comme si c’était la sienne, mais elle ne dit rien. Bolitho poursuivit :

— Cela le torture, et aussi le fait de penser au mal que cela peut me faire.

— Est-ce le cas ?

Il la prit par les épaules et la serra plus fort.

— Qui suis-je pour le réprimander ? Je t’ai enlevée à un autre, comme je l’ai fait pour Cheney.

Il la regarda, tout surpris que ce prénom ait franchi ses lèvres.

— Il voulait s’en aller sur-le-champ. Dans son état, il se serait tué, avec ces routes épouvantables.

— Je suis venue à toi de mon propre gré. Je t’aimais, je t’ai toujours aimé. Si j’ai un regret, c’est d’avoir gaspillé toutes ces années avant que tu me retrouves.

Il contemplait le feu.

— C’est arrivé après qu’on eut annoncé la perte du Pluvier Doré. Zénoria se trouvait ici et, comme toi, cette nuit-là, elle était restée éveillée. Adam était redevenu comme un petit garçon, il pleurait parce qu’il croyait que toi et moi avions péri. Ils croyaient que Val était mort lui aussi.

Il hocha la tête.

— Ce fichu bâtiment en a décidément lourd sur la conscience !

— Nous étions ensemble, mon chéri…

— Je sais. J’y repense souvent.

— T’a-t-il tout raconté ? lui demanda-t-elle.

Bolitho acquiesça lentement.

— Ils sont devenus amants, ils étaient peut-être même amoureux l’un de l’autre. Mais quand la nouvelle a éclaté que nous avions été sauvés par la Larne, c’était trop tard, le mal était fait. Je ne sais pas ce qu’en pense Zénoria, mais elle a désormais un bon mari et un enfant. Ils n’ont pas pu faire autrement, ce n’était pas de la folie ni de la tromperie.

Il lui caressa très doucement les cheveux.

— Mais Adam est amoureux d’elle. Il doit garder le secret, et elle aussi.

— Je suis si heureuse qu’il t’ait parlé. Tu représentes tant pour lui, plus que quiconque.

— Et puis il existe une lettre.

Elle se raidit lorsqu’il lui expliqua :

— De désespoir, il lui a écrit. C’était je ne sais quand, l’an passé. Ce sera le test, il nous reste à attendre et à espérer.

Catherine saisit le verre, il était presque chaud d’être resté près du feu. Il la regarda tandis qu’elle avalait le cognac.

— Quand sauras-tu, Richard, pour Londres ?

Il parut presque soulagé de changer de sujet.

— Leurs Seigneuries semblent réfléchir à la chose.

Catherine avala une autre gorgée, l’alcool lui brûlait les lèvres.

Ce n’était pas fini. Elle lui demanda :

— Je crois que Sir James Hamett-Parker est parti, n’est-ce pas ?

Il hocha la tête.

— Oublié. On l’a remplacé. L’amiral Sir Graham Bethune. Il fera du bon travail.

— Tu dis souvent que la marine est une grande famille. Mais tu ne m’en as jamais parlé.

— C’était il y a bien longtemps. Je l’ai perdu de vue. Il est beaucoup plus jeune que Hamett-Parker, ce qui va nous changer, et ce n’est pas dommage.

Elle lui demanda doucement :

— Plus jeune que toi, Richard ?

— En fait, répondit Bolitho, il était aspirant lorsque j’ai eu mon premier commandement, L’Hirondelle – il réfléchit un instant : Oui, il est plus jeune que moi. C’est cela qui te fait peur, j’imagine.

Il avait dit cela tranquillement et elle songea que, s’il y avait eu davantage de lumière, elle aurait lu sur son visage la même expression que celle d’Adam lorsqu’il parlait de son Anémone, cet air de défi et de fierté.

— Je n’avais que vingt-deux ans lorsque j’ai pris ce commandement. A propos, c’était à Antigua.

— Il n’est pas normal que ce soit lui qui te donne des ordres.

Il lui sourit.

— Ma tigresse, encore ! La marine a des façons bizarres. La chance, l’influence, le destin, voilà ce qui détermine l’ancienneté, ce ne sont pas les capacités. Souviens-toi, Notre Nel avait dix ans de moins que Collingwood à Trafalgar, mais ils étaient bons amis.

Il lui prit les mains et ils se levèrent.

— Au lit, décida Bolitho, ou ma petite fille va me maudire toute la matinée !

Elle baissa les yeux vers le tapis. C’est ici que tout s’était passé. Elle imaginait facilement ce qu’avait éprouvé Adam dans cette pièce. Elle répondit d’un ton très calme :

— Je ne suis plus une petite fille, Richard chéri. Je suis une femme, avec toutes les passions qu’éprouve une femme. Y compris la haine, si nécessaire.

Ils empruntèrent l’escalier bras dessus bras dessous. La bougie solitaire était morte et l’amiral aux yeux gris était perdu dans l’ombre.

Ils s’arrêtèrent sur les marches pour écouter les bruits de la maison, tous ces craquements, ces petits riens qui lui donnaient vie. Bolitho lui dit :

— Ils vont me proposer une nouvelle affectation, un autre vaisseau amiral. Je te retrouverai à Londres. Mais je dois tout d’abord me rendre à Plymouth.

Elle le regardait, surprise comme toujours de voir qu’il était capable de penser à tant de choses à la fois.

— J’aimerais tant ne pas te mêler à tout ça, Kate, ou ne pas laisser quiconque croire qu’il s’est fait manipuler.

— Tu vas voir James Tyacke.

— Oui. Je ne supporte pas d’être séparé de toi. Désormais, chaque heure est précieuse.

Elle revoyait Tyacke aussi nettement que s’il avait été avec eux dans la pièce. Il aurait été séduisant, sans cette moitié de son visage qui faisait croire qu’il avait été déchiqueté par quelque terrible bête sauvage. Elle se souvenait, lorsque la Larne s’était approchée d’eux, après les mille morts qu’ils avaient dû endurer ; et lorsque Tyacke lui avait offert cette robe jaune qu’il serrait en secret dans son coffre, pour couvrir son corps brûlé par le soleil. La robe qu’il avait achetée pour la jeune fille qui l’avait rejeté, après sa blessure. Il méritait pourtant meilleure femme que celle-là.

Bolitho lui dit seulement :

— Je veux l’avoir comme capitaine de pavillon.

— Il n’acceptera jamais, répondit-elle. Je ne suis même pas sûre qu’il doive accepter.

Bolitho lui fit monter les dernières marches.

— C’est bien cela qui est difficile, Kate. J’ai besoin de lui. Je ne peux pas m’en sortir sans lui.

Plus tard, alors qu’ils étaient allongés dans le grand lit à baldaquin, elle réfléchit à ce qu’il lui avait dit.

Et à ce qu’il n’avait pas dit. Sur sa vision affaiblie, sur ce qui se passerait si son autre œil était blessé. Il lui fallait un commandant en qui il puisse avoir entière confiance. Pas étonnant que Bolitho ait envie de voir Tyacke seul. Il ne devait jamais imaginer que Richard usait de sa présence à elle pour tenter de le persuader d’accepter cette promotion et tout ce qui allait avec. Et ce que cela allait exiger de lui.

Elle se serra contre lui en murmurant :

— Quoi que tu fasses, mon chéri, je t’attendrai.

Le premier bruit qu’elle entendit, c’était un coq qui chantait, et elle n’avait pas rêvé.

 

Au nom de la liberté
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